Pérégrination nocturne
Samedi. Tôt le matin. Rue Crescent (sans doute la rue que je haïs le plus à Montréal).
Je suis avec 3 amis. Nous venons à peine de sortir du sordide Electric Avenue qui, sous la supervision de sympathiques videurs aussi larges que hauts, recrache un flot continu de clients aussi imbibés que hagards. A cette heure avancée de la nuit, on ressemble plus aux zombies du clip Thriller de Michael Jackson qu'aux candidats proprets de Loft Story.
Une multitude de groupes se forment sur le trottoir, chacun s'efforçant de rassembler ses esprits, de retrouver ses amis de 20 ans, ses nouveaux amis d'un soir, sa potentielle conquête de la nuit et j'en passe. J'observe la sortie avec attention, malgré les quelques breuvages alcoolisés que j'ai engloutis (j'en ai forcément bu un trop grand nombre parce que je ne m'explique toujours pas comment, tel une baleine sur une plage, on s'est échoué dans ce night-club miteux. Je me souviens simplement que la soirée a commencé au Tap Room vers 17h et qu'ensuite on a dû faire 4 ou 5 autres endroits, où l'alcool a été un dénominateur commun. Quasi impossible de retracer le parcours, j'ai pas la mémoire des noms... surtout des enseignes de bars) .
J'observe donc cette ruche bourdonnante d'individus qui pour la plupart savent que c'est le "last call" pour trouver leur reine d'un soir.
A mes côtés, une petite blonde en mini-jupe, talons aiguilles, toute de noir vétue, tape frénétiquement sur le clavier de son cellulaire. Elle est seule. J'engage la conversation aussi subtilement que peut le faire un gars avec 3 grammes d'alcool dans chaque bras.
Moi : ah ben non ! on s'est pas parlé de la soirée et tu me demandes déjà mon numéro de téléphone !
Elle : ???
Moi : Je te le dis tout de suite : j'aime pas quand ça va trop vite.
Elle : ...
Moi : Et au fait, tu as de très belles chaussures.
Elle (flattée) : Ah, merci !
Moi : je le pense sincérement.
Elle : elles sont peut-être belles mais j'ai vraiment mal aux pieds.
Moi (toujours aussi subtil) : faut souffrir pour être belle. Tu as déjà dû beaucoup souffrir dans ta vie.
Elle (toujours flattée) : vraiment merci. Mais vous étiez à l'intérieur ce soir ? Pourquoi t'es pas venu me parler ?
Moi (lucide) : je suis à peu près persuadé qu'on était chacun là où l'autre ne s'aventurait pas : moi, la piste de danse, toi, le bar. Je me trompe ?
Elle : Non, t'as raison, j'étais sur la piste, c'est aussi pour ça que j'ai mal aux pieds.
Moi : qu'est ce que tu fous toute seule sur le trottoir ?
Elle : je suis avec une amie mais je pense qu'elle est partie avec un gars qu'elle a rencontré (NDLR : je perçois une pointe de jalousie dans ses propos)
Moi : bon, ben, on finit la soirée où ?
Un de mes amis (je les avais oubliés eux moi !) : on va tous chez toi !
Elle : ouais, bonne idée ! on va chez toi.
Moi : euh... bon, ben... OK
A partir de là, tout commence à devenir franchement nébuleux. Voici les quelques bribes de souvenirs que j'ai pu rassembler ce matin malgré un cerveau complétement embrumé :
- y avait personne dans mon appart' ce matin ;
- les cadavres de bouteilles de bière sur la table du salon ont laissé un vibrant témoignage du passage de mes compagnons de beuverie ;
- la fille s'appelait Valérie (oui, je le sais, j'ai retrouvé sa carte de visite sur ma table de chevet) et visiblement elle avait pas froid aux yeux ;
- j'ai vaguement le souvenir de l'avoir "frenché" à plusieurs reprises (où étaient mes 3 amis à ce moment-là ? Mystère...) ;
- je pense avoir rejoint Morphée vers 6h, seul.
En tout cas, c'est décidé : j'arrête... d'aller au Electric Avenue. Je vais aller me prendre une bière au soleil pour fêter cette nouvelle résolution. Je vais aussi appeler mes 3 compères, histoire de savoir s'il faut que je rappelle la belle Valérie. Dans mon souvenir, elle était même très belle. Peut-être est-ce plus sage que je ne garde d'elle que son souvenir.