Ma vie de bureau : le Comité de Gestion

Chaque semaine, le mardi après-midi, l'ensemble des chefs de service (8 personnes) et le directeur de ma compagnie se réunissent pour faire le point, l'espace de quelques heures, sur la revue des résultats, les sujets chauds, les projets en cours, les projets à venir et j'en passe. Cette instance de 9 personnes s'appelle le Comité de Gestion et fait fantasmer la plupart des 170 employés permanents qui se demandent ce qu'on peut bien avoir à se dire, 3 h durant, chaque semaine.

Je vais tenter de démystifier un peu le tout et prouver la pertinence d'un tel meeting.

Fonctionnement de base : les quelques régles à connaître.

1. pour que le comité commence à l'heure, tout retardaire devra verser la somme de 1$ dans une magnifique tirelire-chien (inutile de préciser que les fonds récoltés servent... à financer les achats de bonbons que nous engloutissons lors de chaque comité) ;
2. chaque chef de service dispose d'une petite dizaine de minutes. Et attention pour les délinquants : à chaque comité, un chef de service (CDS) joue le rôle d'animateur alors qu'un autre remplit celui de chronométeur. Ça impressionne hein de voir que l'on met toutes les chances de notre côté pour avoir des réunions efficaces ?
3. Durant les 10 min qui lui sont allouées (et pas une de plus !), le CDS qui a la parole doit présenter de manière très synthétique les sujets transversaux qui le touchent, histoire de donner un état des lieux rapide pour l'ensemble des membres du Comité.

Ca, c'est la théorie. Voici la pratique. Extrait de la réunion de ce jour :

• Animateur : "vas-y P. (NDLR : P. est notre responsable Achats, la cinquantaine, 25 ans d'expérience dans le métier), à toi la parole.
• P. : j'ai discuté avec notre fournisseur de squalane et en fait, j'ai pas eu tout de suite le représentant parce qu'il était en séminaire. Oh, d'ailleurs, ça me fait penser à une histoire ça... hi hi hi... faudra que je vous la raconte un de ces jours... hi hi hi... euh... qu'est ce que je disais moi ?
• CDS 1 : le squalane...
• P. : ah oui ! merci ! Le squalane, c'est une des matières premières qui rentre dans nos produits X et Y (NDLR : on fabrique des produits pharmaceutiques) et en fait, la réglementation sur la pêche au requin a changé, on peut plus pêcher comme avant, maintenant, faut pêcher à la ligne...
• Le reste du comité : ... ?
• P. : donc, moi, j'ai discuté avec Brenda, parce que le risque est grand pour nous...
• Le reste du comité : euh...
• P. : et pis, en fait, le représentant, il sera pas de retour avant un bon moment, alors moi, j'ai demandé à Brenda de commander de la matière jusqu'en octobre, parce qu'on peut pas se permettre d'être à risque...
• Animateur : excuse-moi de t'interrompre P. mais c'est quoi ton point au juste ? qu'est-ce que tu essaies de nous dire ?
• P. : ben qu'on est à risque.
• Animateur : euh... oui, mais c'est quoi le rapport avec la pêche au requin ?
• P. : ah oui, en fait, le squalane, ça vient du requin.
• Le reste du comité : ok...
• P. : et comme les réglements sur les techniques de pêche ont changé, y a plus personne qui veut pêcher du requin, parce que pêcher à la ligne, c'est pas rentable. Donc, si on pêche plus de requin, ben, on risque une pénurie de squalane..."

15 min plus tard :

• CDS 2 : non, non, j'vous jure, dans le reportage, on voit le surfeur (j'crois que c'était en Australie, près de la barrière de corail) se faire bouffer la jambe par un requin.
• CDS 4 : beurk... ça doit être vraiment dégueu...
• CDS 3 : moi, l'Australie, c'est ma prochaine destination vacances avec ma blonde. Elle rêve de la barrière de corail ;
• CDS 7 : ah ouais ? moi, j'trouve que c'est trop loin.
• Animateur : euh... on peut conclure sur l'aspartame ?
• P. : non, non, c'est pas de l'aspartame, c'est du squalane.
• Animateur (excédé) : ouais, c'est pareil... donc, c'est quoi la conclusion ? on est à risque sur cette matière et tu vas faire le suivi, P., c'est ça ?
• P. : c'est ça
• Animateur : OK. super...
• Bruit de fond : Australie... ha ha ha... requin... trop dangeureux.... vacances... non, t'es pas sérieux.... "

J'arrête là ce petit extrait... Les 4 sujets suivants furent à peu près du même acabit. Et bizarrement, après 4 heures (au lieu des 2 ou 3 h intialement prévues) à statuer sur des sujets aussi intéressants et aussi bien présentés et synthétisés, avec un animateur dépassé, un directeur d'usine laxiste, je n'ai absolument pas l'impression d'avoir perdu mon temps... Je repars travailler le coeur léger.

Quand je vous disais que j'allais démystifier cette formidable instance qu'est le Comité de gestion...